Fabrice Luchini sans La Fontaine, il n’y a pas Audiard » Juin 25, 2020 1 commentaire Ayant dû interrompre tournée et spectacles à cause du coronavirus, Fabrice Luchini a utilisé le confinement pour poster sur les réseaux sociaux des vidéos de fables de La Fontaine. Des pépites de quelques minutes où on le voit réciter et commenter avec son habituelle virtuosité. Pourquoi La Fontaine, parmi tous les auteurs fétiches du comédien? Pour divertir, amuser et donner à penser ? Fabrice Luchini nous a répondu. À l’origine, ces vidéos étaient une idée de ma compagne. J’ai pensé que c’était une excellente façon de m’imposer une petite discipline de travail, car je suis très dissipé. J’ai aussi eu un petit élan citoyen, ce qui m’arrive rarement, un petit réflexe à la Péguy, celui de produire quelque chose pour les gens enfermés dans des endroits pénibles; pour qu’ils puissent, pendant six minutes, écouter ce surgissement, ce naturel, cette profondeur et cette légèreté, cette gaieté de La Fontaine. Le génie de La Fontaine, c’est que sa langue a la légèreté éblouissante de l’écriture qui devient orale » Je ne veux pas schématiser ni intellectualiser La Fontaine sa pensée n’est pas ce qui m’intéresse le plus. Certes, c’est un penseur admirable; il est désenchanté mais joyeux, comme Freud est pessimiste mais gai. C’est un grand lucide qui n’est pas dans le ressentiment. Il pourrait mépriser l’être humain, mais il l’aime quand même, et c’est absolument sublime. Cette sagesse modérée inspirée d’Ésope n’est pas, selon moi, l’événement majeur. Ce n’est pas vraiment ce qui m’intéresse chez lui. Pour le modeste praticien que je suis, le génie de La Fontaine, c’est que sa langue a la légèreté éblouissante de l’écriture qui devient orale. Si Céline l’adorait, c’était pour cette oralité. Paul Valéry et Céline le disent longtemps avant l’écriture, il y avait l’oralité. Le but de Céline, unique dans son geste littéraire, c’est de restituer cette oralité, l’émotion du langage parlé dans la langue écrite. Car la langue écrite aplatit souvent l’émotion, ne produit pas le même choc. Quand Paul Valéry dit Allez écouter du Racine ou du La Fontaine, et vous verrez qu’ils sont ânonnés », c’est-à-dire détruits, il nous rappelle que les fables ne sont pas des textes à faire réciter à des enfants. La fable ne doit pas être ânonnée, scolairement anéantie. En tant qu’exécutant, me confronter à ces textes m’oblige à me confronter à une machine, celle de la diction, de la respiration, les rapides, les lents, les toniques, les atones… Un texte, ça n’est pas du signifiant, du didactique c’est de l’organique, du mouvant ! » Chopin avait Bach, et moi qui ne suis pas un créateur et qui ne suis pas Chopin, je ne suis qu’un interprète, j’ai cette partition de La Fontaine qui me force à ne pas alourdir, à aller droit au but. Un texte, ça n’est pas du signifiant, du didactique c’est de l’organique, du mouvant ! On ne doit pas jouer, en tant que praticien, mais déjouer on a tendance à appuyer sur le côté joli » de La Fontaine, à accentuer son style – et là, on est foutu ! Par exemple, Le Lièvre et les Grenouilles », une fable métaphysique très peu connue sur l’homme et la peur, qui commence ainsi Un Lièvre en son gîte songeait ». Il y a des problèmes flagrants à résoudre en tant que praticien la diction demande une grande clarté, sans non plus appuyer sur les consonnes et faire sentir cet effort pompeux, comme le font les hommes politiques. Si j’essaye de ne pas avoir cette diction appuyée, c’est grâce à mon maître Jean-Laurent Cochet, dont j’ai mis trente ans à véritablement exécuter les conseils. C’est de lui que me vient ma technique. Il a eu le génie d’approfondir son enseignement en étudiant l’essence du texte, la façon de s’en saisir, l’exigence et l’ambition de le restituer […] LIRE LA SUITE. Illustration Fabrice Luchini, en 2016, au Festival de Cannes © Nicolas Genin/ Publié dans la Revue des Deux Mondes juillet-août 2020 Achetez ce numéro pour poursuivre votre lecture ou connectez vous à votre compte abonné J’achète Je me connecte Valérie Toranian Directrice de la Revue des Deux Mondes.